Sortir de la cav(s)erne – épisode 1
Introduction
Récemment, devisant avec ma merveilleuse compagne[1], je philosophais sur l’importance de la culture et de la connaissance, en prenant exemple de Platon et du sens de l’allégorie de la caverne.
Je réalisai alors que les temps que nous vivons en ce moment étaient peut-être propices à requestionner cette métaphore de la sortie des illusions de tous ordres, du monde Sensible (au sen de Platon) pour accéder à un monde de Connaissance (extérieure ou intérieure à soi-même ?), de Vérité.
D’où l’idée de cette série d’articles qui débute ici, sans prétention sinon celle de faire des liens entre différents sujets, différentes questions.
Celui-ci est destiné à tous les curieux -y compris ceux qui ont raté les cours de philo- à ceux qui veulent se rafraîchir la mémoire en ces temps où il parait important de comprendre, de se comprendre et d’élaborer du sens….
Petit rappel
« L’allégorie de la caverne (…) est une allégorie exposée par Platon[2]. Elle met en scène des hommes enchaînés et immobilisés dans une « demeure souterraine » (la caverne), par opposition au « monde d’en haut », qui tournent le dos à l’entrée et ne voient que leurs ombres et celles projetées d’objets au loin derrière eux. Elle expose en termes imagés les conditions d’accession de l’homme à la connaissance du Bien, au sens métaphysique du terme, ainsi que la non moins difficile transmission de cette connaissance. » (Source Wikipedia)[3]
Significations et enseignements
De nombreux commentateurs, penseurs et philosophes ont développé de non-moins nombreux points de vue sur les significations à donner à cette allégorie.
Le cinéma s’est aussi emparé de cette allégorie, puissamment illustrée, par exemple, dans le fameux film Matrix des frères Wachowski[4] (nous reviendrons prochainement sur le dilemme de la pilule bleue ou rouge)
De manière non-exhaustive, on peut retenir quelques-uns des angles d’approche de cette parabole :
- La quête de Vérité et la confrontation au Réel – qu’il s’agisse de connaissance ou d’expérience spirituelle – dans un mouvement ascendant ;
- La soumission à une autorité supérieure, à un Pouvoir descendant ;
- La tentation de dénier voire de résister à ce Réel plutôt que de sortir des illusions ou conditionnements ;
- Et la difficulté pour le sachant/initié de vivre l’épreuve d’être critiqué voire rejeté par ceux qui ne savent pas (ou ne veulent pas savoir)
– …
Loin de moi l’idée d’être complet ou de faire œuvre d’érudition à ce propos, je vous laisse le soin de revisiter vos classiques et vos cours de terminale 😉
Actualité de cette allégorie
Pour autant, il me semble que nous vivons en ce moment une période qui (re)met radicalement en scène cette allégorie.
Être confrontés collectivement et individuellement à un événement dont le Sens et la portée échappent à chacun – le covid 19( ?) et vivre l’expérience d’un nouveau confinement – ce qui nécessite un nouvel effort particulier de notre part.
– Effort d’adhésion inconditionnelle à un principe supérieur (« la sécurité sanitaire est l’affaire de chacun »),
– Effort d’acceptation de ce principe énoncé par une autorité « supérieure » qui dispense information, analyse, conclusions et décisions qu’il nous revient d’appliquer sous peine d’être « hors la Loi » même si les conséquences rendent l’avenir incertain voire « dangereux » pour certains
– Effort de résilience et de calme dans des temps difficiles sur le plan social et économique, sur le plan psychologique et philosophique et sur bien d’autres plans encore…
Demandez le programme
C’est bien là que se présente la difficulté, le challenge à relever !
Cette difficulté qui fonde les travaux de la thérapie humaniste et existentielle de Yalom[5] et Frankl[6] et de leurs différents héritiers :
Il va falloir produire un réel effort pour produire du sens (à nouveau) ! Pour faire face aux épreuves qui se présentent dès à présent et sur le plus long terme. Car c’est une condition nécessaire pour échapper à l’angoisse, voire la folie ou au désespoir.
Ainsi, Frankl souligne l’importance de nous appuyer sur 3 valeurs essentielles pour faire face et construire une narration de soi et des événements qui soutienne notre irrépressible besoin de sens :
– la valeur d’expérience,
– la valeur de création/transformation,
– et la valeur d’attitude
Valeur d’expérience
Or, quid de la valeur d’expérience de la maladie et du virus quand celui-ci est invisible, voire absent de l’expérience personnelle que l’on peut en tirer ? Comment faire sens d’une expérience que je ne vis pas, sinon par écrans, médias et réseaux sociaux interposés ?
Valeur de création
Par ailleurs, comment faire acte de création ou de transformation d’une situation « sensible » (selon l’acception platonicienne) en une expérience de connaissance, sur la base de données et de faits changeants, incomplets, prêtant parfois à caution (y compris dans les sources dites « officielles »), sans pour autant céder à la tentation de créer de toute pièce sa propre réalité au risque de maintenir ou d’amplifier les illusions auxquelles on cherche à priori a échapper ? La réponse est surement à chercher dans la curiosité, l’humilité et la pratique d’un doute raisonnable et positif, mais requiert un temps de qualité, une culture et une éducation qui dépassent peut-être le cadre du temps actuel, rythmé quant à lui par les breaking-news, les annonces, le flux ininterrompu de faits, mélangés sans vergogne ni méthode aux opinions dans une confusion (involontaire ?), de sollicitations et de stimulations de tous ordres…
De l’urgence de se remettre au clair sur ses valeurs
Valeur d’attitude
Reste la valeur d’attitude : (re)formuler ses valeurs, des repères et principes de vie – sur la base desquels on entend agir avec Soi et avec les autres ; le faire avec précision et exigence, sans paresse ni facilité, avec empressement mais sans urgence, afin d’avoir un socle le plus solide possible pour appuyer des compréhensions voire des décisions que ces temps de confinement ne manqueront pas de favoriser. Et pourquoi pas une soc pour notre charrue (petit jeu d’un amoureux des mots) permettant un sillon droit accroché à une étoile (de valeurs, stables par nature) afin tracer à partir dès lors une route personnelle, lisible et robuste face aux questions que notre sagesse individuelle future (voire collective, on peut toujours espérer) ne manquera pas de nous faire nous poser dans quelques mois ou années.
Seul ou à 2 ?
Un coaching individuel (voire un processus thérapeutique) peut être un temps privilégié (en profitant des semaines à venir ?) pour mener à bien cette réflexion en étant accompagné : (re)définition/formulation des valeurs, de leurs applications concrètes dans votre vie ou dans vos comportements envers vous-même comme autrui afin de recaler la mire sur l’étoile à laquelle accrocher votre charrue.
A suivre
J’approfondirai au cours d’une série d’articles à venir d’autres aspects de cette allégorie et des ponts à tirer entre la Grèce antique, métaphorique et mythologique de Platon et les enjeux psychologiques, narratifs et comportementaux du monde contemporain…
[1] Que je salue ici, et grâce à la relecture de qui vous avez échappé à des mots anciens ou compliqués tels que « thuriféraires », « exégètes », « transcendant » dont j’aime le charme érudit et désuet mais que je chasse ici pour ne pas faire le pédant, ce qui n’est pas mon intention
[2] Platon : « La République » – Livre VII
[3] Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/All%C3%A9gorie_de_la_caverne
[4] Voir le film Matrix (1999) par les frères Wachowski (devenus depuis les sœurs Wachowski)
[5] Irvin Yalom : Lire « Thérapie existentielle
[6] Viktor Frankl : Lire « Découvrir un sens à sa vie »,« Nos raisons de vivre » et « Le thérapeute et le soin de l’âme »
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